Présidentielle 2025 : DANS L’ENFER DE BAFANG
- Maurice Tientcheu

- il y a 1 jour
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L’élection présidentielle du 12 octobre 2025 a particulièrement marqué la ville de Bafang, dans le département du Haut-Nkam. Ici, le scrutin a connu plusieurs temps forts. Il a dans un premier temps, suscité l’espoir caractérisé par des marches pacifiques et joyeuses, la veille de l’annonce des résultats. Puis, l’espoir a cédé place au désenchantement et à la répression, menée entre autres par des paracommandos venus de la garnison militaire de Koutaba.
La ville de Bafang a été le théâtre d’évènements marquants, suite à l’élection présidentielle du 12 octobre dernier. Respectant à la lettre les mots d’ordre du candidat Issa Tchiroma Bakary, les populations ont effectué dès dimanche 26 octobre 2025, une marche retentissante. Tout commence aux environs de 14 heures. Partis de la place de fête de Bafang, les jeunes de différentes tranches d’âge, longent la ville jusqu’au lieudit « Rond-point Pachi ». Puis, repartant de cet endroit, ils font le chemin inverse pour retrouver la place de l’indépendance.
Près de 3000 personnes, battent le macadam, au son de « Tout le monde souffre !!! » et autres slogans, dénonçant le misérabilisme dans lequel végète désormais la population. Arbres de la paix en main, ils éructent par le chant, un kaléidoscope du mal-être camerounais, et ses répercussions sur les conditions de vie, devenues de plus en plus intenables. De fait, dans cette ville sémi-urbaine, les populations ne sont pas épargnées par le chômage massif des jeunes, et la hausse vertigineuse des prix, y compris ceux des produits alimentaires.
Au cour de cette marche, les jeunes sont encadrés par leur propre service d’ordre. Quelques éléments de la police antiémeute veillent au grain. Ils accompagnent les manifestants, dans leur pick-up blanche, en arrière du cortège, à distance respectable, pour ne pas envenimer la situation. La manifestation se déroule sans heurts dans un climat bonne enfant et de disperse à la tombée de la nuit, à la place de l’indépendance.
TIRS NOURRIS A BALLES REELLES

Le lendemain, dans la matinée, Bafang prend des allures de ville morte. Les populations sont scotchées chacun devant un téléviseur. Câblé sur la chaine d’Etat, la CRTV, tous et toutes suivent les résultats de la présidentielle. Beaucoup croient que cette fois, la messe est dite pour Paul Biya président âgé de 93 ans qui règne à la tête du pays depuis 43 ans. Clément Atangana, le Président de la Cour Constitutionnel, égrène comme à l’accoutumée, les résultats. Aussi curieux que cela puisse apparaître, Paul Biya est déclaré vainqueur. Le temps suspend son vol sur le ciel de Bafang. Un diable passe. C’est l’incompréhension. La perplexité gagne les visages, l’inquiétude aussi. Très vite, des groupuscules de jeunes envahissent de nouveau les rues. La colère de ces derniers est manifeste. Ils se rassemblent au lieu-dit « carrefour Babountcheu ». Il est question d’organiser une autre marche, cette fois de protestation. Des rangs de forment, des drapeaux sortent. Mais la police charge et procède aux premières arrestations. Très vite le ton, monte. Des heurts aussi, la police et la gendarmerie utilisent des bombes lacrymogènes et des tirs à balles réelles, dans le but de disperser les manifestants. Dans ces échauffourées, un jeune tombe raide mort, atteint par une balle implacable. Au moins trois autres sont grièvement blessés. C’est la débandade.
Partout, des pneus sont amoncelés et les rues flambent. Les voies d’entrée et de sortie de la ville sont barricadées. Tout est bon pour manifester colère et indignation. Des kiosques sont renversés, des banchages arrachés et étalés le long des chaussées, des futs éventrés, jonchent les trottoirs. Un groupe de manifestants, plus que furieux, s’attaquent au Commissariat de sécurité public de Bafang. Quelques policiers sont molestés. Les pick-up de la police sont incendiés. Il en est de même de toutes les voitures placées dans et aux alentours du parking du commissariat. Les policiers se replient à l’intérieur du bâtiment et pilonnent les manifestants de tirs toujours à balles réelles. Débordés, police et gendarmerie font alors appel aux forces de troisième catégorie. Il s’agit des militaires venus de Koutaba. Ces derniers arrivent dans la ville le lendemain 28 octobre. Ils sont lourdement armés et se signalent eux-aussi, par des tirs à balles réelles. Tout attroupement est désormais interdit. Des groupes se dispersent alors dans la ville et harcèlent les militaires par des jets de pierre. Les soldats répliquent par des tirs dans tous les sens. Les crépitements d’armes et de balles envahissent la ville, et se font entendre à intervalles irréguliers.
UN MORT, TROIS BLESSES GRAVES ET DES DIZAINES D’ARRESTATION
Des dizaines d’arrestations sont effectuées, y compris nuitamment. Toute la journée et même tard dans la nuit, les tirs persistent en direction de la Préfecture, et du centre administratif. Les gendarmes en profitent pour faire main basse sur des jeunes soupçonnés d’avoir manifesté. Ils vont dans divers hôpitaux, à la recherche des blessés qu’ils emportent avec eux. Le lendemain, les tirs reprennent de plus belle. Toute la ville est jonchée de déflagrations d’armes. Les populations se terrent entièrement chez elles.
Au troisième jour après les élections, les soldats de Koutaba plient bagage. La ville, tétanisée, a de la peine à retrouver le cour normal de ses activités. A ce jour, Bafang présente toujours des signes de ville morte, la circulation y est fortement ralentie, cependant que les écoles restent fermées. Les pouvoirs publics incitent les uns et les autres à reprendre une vie normale, mais la peur et le désenchantement demeurent. Les signaux de reprise sont timides. La ville de Douala qui fait office de plaque tournante dans le circuit économique local, demeure elle-même dans l’expectative. Deux semaines après la proclamation des résultats, l’on fait état ici, des rumeurs de reprise de l’opération « ville morte ».
TIENTCHEU KAMENI Maurice










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