Justice : comment protéger les personnes en détention au Cameroun
- Alain Leuwat
- 29 avr.
- 4 min de lecture
Les lieux de détention brillent par des garde-à-vue abusives, des détentions provisoires prolongées, le non-accès aux soins de santé ou l’absence de scolarisation. Il y a urgence pour les acteurs de la chaîne carcérale d’adopter des bonnes pratiques.

Imaginez un système carcéral où un ingénieur du génie civil ou des télécoms serait emprisonné, mais continuerait d’offrir des prestations. Ce serait pareil pour n’importe quel professionnel qui pourrait poursuivre ses activités tout en purgeant une peine de prison. Imaginez que dans le même système, la déjudiciarisation devienne effective. En d’autres termes, un mécanisme serait mis en place et permettrait d’éviter des procédures judiciaires tout en restant dans l’optique de résoudre un conflit né entre des parties. Le point commun de toutes ces situations c’est la limitation de la détention.
Au Cameroun, cette forme de justice relève encore du vœu pieux. Mais le rêve peut un jour devenir réalité si les acteurs de la chaîne pénale y mettent de la volonté. C’est une conviction partagée par les initiateurs du Projet d’appui à une gouvernance carcérale basée sur les droits humains au Cameroun (Pagoc). Il est mis en œuvre par trois organisations de la société civile : le Réseau camerounais des organisations des droits de l’Homme (Recodh), le Research Institute for Development (Ridev) et Avocats sans frontières France (Asf France).
En attendant d’arriver à une justice qui réduit l’incarcération à sa plus simple expression, le Pagoc s’investit à protéger les droits des personnes en détention. Il s’agit de ceux et celles qui se trouvent dans des centres pénitentiaires ou alors sont placés en garde-à-vue dans d’autres lieux de détention comme les commissariats de police, les unités de la gendarmerie, etc.
Contradiction
D’entrée de jeu, Joseph Désirée Zebaze, le coordonnateur national du Recodh, regrette la mauvaise conception de la garde-à-vue au Cameroun. « La personne gardée-à-vue doit être dans une salle et on la voit ; pas dans un cachot. C’est un détail à revoir », explique-t-il. Quant à Me Sandrine Dacga Djatche, avocate et représentante au Cameroun d’Asf France, elle pointe du doigt la garde-à-vue administrative prévue pour durer 15 jours indéfiniment renouvelables. « C’est une garde-à-vue fondée sur des textes légaux en contradiction avec l’esprit du législateur international au regard des instruments internationaux ratifiés par le Cameroun. Lorsqu’une personne doit être privée de liberté, on doit quand même savoir le temps de privation de sa liberté.
On ne peut pas être privé de liberté de manière indéterminée sans savoir quand se terminera sa détention. C’est un problème réel car,c’est en contradiction avec la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant, etc », explique-t-elle.
En dehors de la garde-à-vue administrative, il y a de nombreuses personnes qui sont en prison, ne savent pas la raison de leur détention et n’ont jamais rencontré un avocat. Il s’agit d’une violation des droits de la défense, c’est-à-dire des droits fondamentaux d’une personne détenue, constate Me Clémence Cottineau, avocate au barreau de Paris et bénévole d’Asf France. Le droit à l’éducation et le droit à la santé sont également cruciaux, mais souvent ignorés dans le système carcéral camerounais.
Mandela’s Rules
A l’évidence, la détention en général, et la détention abusive, contribuent au surpeuplement des prisons camerounaises où les taux d’occupation approchent les 500% dans certains cas. Et dire que la détention provisoire prolongée représente 58% des détenus parfois incarcérés depuis des années. Il y a là un paradoxe car, la liberté reste la règle et l’incarcération l’exception, croit savoir Sandrine Dacga Djatche. Il y a donc lieu de penser à des peines alternatives adaptées au contexte camerounais. Les personnes en détention provisoire pourraient alors être placées sous un autre régime qui leurpermet d’éviter la prison.
Les personnes condamnées pour des délits mineurs peuvent exécuter leur peine à l’extérieur en faisant des travaux d’intérêt général. « C’est plus utile pour la société d’avoir une personne qui exécute des travaux d’intérêt général, plutôt que de la détenir », affirme Me Clémence Cottineau. Elle regrette qu’au Cameroun, comme en France, le financement du système judiciaire ne permette ni d’assouplir la détention, nide protéger convenablement les détenus, en garantissant le droit à la défense, à l’éducation et à la santé, surtout pour les mineurs.
Il y a donc matière à discussion avec les différents acteurs de la chaîne carcérale. Dans le cadre du Pagoc, des sessions de formation se tiennent actuellement et réunissent des magistrats, des avocats, des administrateurs pénitentiaires, des agents de la Police et ceux de la Gendarmerie nationale. Après la session des 21 et 22 avril à Yaoundé, les formations se poursuivent à Douala, Bafoussam et Garoua.
L’objectif est de permettre un partage d’expérience entre cesdifférents acteurs et le Pagoc. Ainsi, des bonnes pratiques pourront être adoptées de manière consensuelle et mises au profit de tout justiciable susceptible d’être privé de liberté. Les sessions de formation s’appuient sur plusieurs instruments juridiques, à l’instar des Mandela’s Rules qui sont des règles minimales concernent les personnes en détention.
Assongmo Necdem










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