Crise Énergétique au Cameroun : La Dette Colossale d'Eneo Plonge le Secteur Électrique dans la Tourmente
- wilfriedfrancky
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Un Endettement Record et des Créances Élevées

Le secteur de l'électricité au Cameroun fait face à une crise financière d’une ampleur préoccupante, signalée par l'explosion de la dette de son principal opérateur de distribution. Selon les données compilées dans le récent rapport Compact Energy Pays émanant du Ministère de l’Eau et de l’Énergie (Minee), la situation d'Eneo Cameroun, filiale du fonds britannique Actis, est jugée critique. L’entreprise affichait, à la fin de l’année 2024, un endettement global ahurissant de 800 milliards de Francs CFA.
Ce fardeau financier s'est alourdi de manière spectaculaire, passant de 700 milliards de FCFA en 2022. La majeure partie de cette dette, soit 500 milliards de FCFA, est due à ses divers fournisseurs. Parmi les créanciers figurent d'importantes entités publiques nationales telles que la Société Nationale de Transport de l'Électricité (Sonatrel), Electricity Development Corporation (EDC), ainsi que d’autres acteurs clés comme la Sonara, SNH-Tradex et l'organisme de régulation Arsel. En parallèle, l'opérateur doit également faire face à 80 milliards de FCFA de créances non recouvrées.
Des Bénéfices Illusoires et une Trésorerie en Danger
Bien que la société Eneo ait réussi à dégager des bénéfices nets en 2022 (10 milliards de FCFA) et en 2023 (8,4 milliards de FCFA), marquant une embellie après la lourde perte de 35,5 milliards de FCFA enregistrée en 2021, ces chiffres positifs masquent une dégradation inquiétante de sa situation de trésorerie.

Le rapport financier de 2023 révèle un basculement significatif : le solde global de trésorerie est passé d'un excédent de +3,62 milliards de FCFA en 2022 à un déficit de -1,58 milliard de FCFA à la fin de l'année. Cette détérioration a conduit le Minee à qualifier désormais l'entreprise comme un "risque budgétaire" majeur pour l'État, la jugeant incapable de financer ses propres dépenses d'exploitation. Cette alerte fait écho aux préoccupations exprimées en juin 2023 par un ancien haut responsable du secteur, qui évoquait déjà un « risque élevé de cessation de paiement » du concessionnaire lors d’échanges avec la Banque mondiale.
Faiblesses Structurelles et Déficit d'Investissement
Les racines de cette crise sont profondes et s'expliquent par des défaillances structurelles persistantes. Le Minee pointe du doigt un déficit chronique d'investissements dans les infrastructures de transport et de distribution, ainsi qu'une gouvernance jugée insatisfaisante. Entre 2014 et 2022, Eneo n'a investi que 320 milliards de FCFA, un montant que l'entreprise elle-même estime insuffisant pour moderniser son réseau vieillissant. D'ailleurs, la fragilité financière et la perception de sa gouvernance ont empêché l'opérateur d'obtenir un prêt vital de 210 milliards de FCFA sollicité auprès de la Société financière internationale (SFI).
La dépendance d'Eneo aux prêts à court terme des banques locales accentue sa vulnérabilité. Les pertes techniques et commerciales demeurent très élevées, atteignant chacune 14 % en 2023, reflétant la vétusté du réseau et une gestion difficile. De surcroît, le taux de recouvrement des créances reste faible, pénalisé par les impayés chroniques des entités publiques et une fraude persistante.
Le Gouvernement Prépare un Plan de Sauvetage et de Restructuration
Face à l'urgence, les autorités ont élaboré un plan de redressement ambitieux à l'horizon 2026. La stratégie gouvernementale vise à la fois une restructuration financière et opérationnelle d'Eneo, avec plusieurs mesures phares :
Rachat des Parts d'Actis : L'État envisage de racheter les 51 % du capital détenus par le fonds d’investissement britannique Actis dès 2025.
Restructuration : Un diagnostic complet doit être suivi par un plan de restructuration détaillé d'ici février 2026.
Réorganisation de la Dette : La dette cumulée fera l'objet d'une réorganisation pour alléger le fardeau financier.
Parallèlement, un mécanisme renforcé de recouvrement des factures publiques doit être mis en œuvre dès 2026 pour assainir durablement les finances de l'opérateur. En outre, une politique d'ajustement tarifaire progressif est en cours pour les clients à moyenne tension (3 à 10 MW), avec une augmentation annuelle de 10 % jusqu'en 2026. Cette mesure a déjà permis à Eneo d'augmenter son chiffre d'affaires d'environ 18 milliards de FCFA entre 2023 et 2024, soit un gain d'environ 30 millions de dollars US.
L’objectif final du gouvernement est d'assurer la viabilité du système électrique. Le Minee table sur un retour à l’équilibre financier d’ici 2028, avec pour objectifs spécifiques : l'atteinte d'un taux de recouvrement intégral des factures à partir de 2026, l'amélioration du rendement de distribution à 88 % d'ici 2030, et la finalisation d’un modèle financier global pour l’ensemble du secteur avant la fin 2025.
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