Arrestations et détentions illégales : mode d’emploi pour sauver les victimes
- Yves Taildeman
- 25 juin
- 4 min de lecture

Au Cameroun, des formations sur la procédure d’habeas corpus sont dispensées aux avocats, aux magistrats, aux administrateurs pénitentiaires et aux autres acteurs de la chaîne pénale. Si l’habeas corpus permet de lutter contre les pratiques de privation de liberté, cette procédure est encore peu sollicitée dans un contexte de surpopulation carcérale.
Voici des mésaventures à la fois absurdes et tragiques, qui sont celles de plusieurs personnes au Cameroun aujourd’hui. Une arrestation puis une mise en garde-à-vue dans une unité de la police, de la gendarmerie nationale ou dans tout autre lieu de détention. La garde-à-vue, prononcée par une autorité judiciaire ou une autorité administrative, dure des jours, des semaines, voire des mois.
La personne détenue perd ainsi sa liberté d’aller et venir, au-delà des délais légaux et imaginables. Dans certains cas, le motif de la détention peine à trouver validité ; ou même la victime n’a pas été présentée à un juge dans les délais prescrits par la loi. L’arrestation et la détention prennent parfois les allures d’un enlèvement car, tout se fait dans le secret. Certains justiciables ont été placés en détention provisoire par un juge, mais sont sans nouvelle de leur dossier depuis des années.
La guerre contre Boko Haram, puis la crise socio-politique dans les régions du Nord-Sud et du Sud-Ouest, ont été le prétexte d’arrestations et de séquestrations de personnes innocentes sous le régime d’exception de la loi n°2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme au Cameroun. En dérogeant au droit commun, ce texte a ouvert la voie à toutes sortes de violations des droits humains.
Toutes ces mésaventures sont à ranger dans le registre des arrestations et détentions illégales, abusives et arbitraires ainsi que des séquestrations dans des zones de non droit où la justice n’a plus droit de cité. Ces pratiques touchent 58% des détenus dans l’ensemble des 76 établissements pénitentiairesdu pays, et beaucoup attendent leur procès durant des années. Le diagnostic de la situation est établi par le Projet d’appui à une gouvernance carcérale basée sur les droits humains au Cameroun (Pagoc), conduit par trois organisations de la société civile : le Réseau camerounais des organisations des droits de l’Homme (Recodh), le Research Institute for Development (Ridev) et Avocats sans frontières France (Asf France).
La privation de liberté apparaît comme une fatalité pour les justiciables d’autant plus que le contexte judiciaire camerounais est peu favorable à la procédure d’habeas corpus.
Il s’agit d’un mécanisme juridique qui permet de contester une détention illégale et de demander la libération d’une personne détenue sans motif valable. L’habeas corpus se fonde sur l’urgence de restituer la liberté d’aller et venir. « C’est une procédure que nous appelons le référé pénal, une procédure en accéléré, qui permet de rééquilibrer, de rétablir l’équilibre qui a été brisé, notamment par les autorités publiques ou privées à l’endroit des personnes vulnérables qui sont privées de leur liberté, qui font l’objet d’arrestation ou de détention illégale ou alors pour d’autres violations des droits humains », explique Me Sandrine Dacga Djatche, avocate et représentante au Cameroun d’Asf France, formatrice au sein du Pagoc.

La procédure d’habeas corpus, d’origine anglo-saxonne(Common Law) et consacrée au Cameroun par le Code de procédure pénale de 2005, reste peu sollicitée car, elle estignorée, méconnue ou mal maîtrisée par les avocats, les magistrats, les administrateurs pénitentiaires et les autres acteurs de la chaîne pénale. C’est à partir de ce constat que Me Sandrine Dacga Djatche explique le bienfondé de la série de formations que le Pagoc s’est engagé à mener dans plusieurs villes du Cameroun ce mois de juin 2025 : Yaoundé les 19 et 20, Douala les 23 et 24, Bafoussam les 26 et 27, enfin Garoua du 30 juin au 1er juillet.
L’objectif des ateliers est d’apporter aux acteurs de la chaîne pénale les outils, les instruments et les techniques qui vont les accompagner et renforcer leurs capacités dans la procédure d’habeas corpus. « Cette procédure est particulière et assez complexe. Il faut connaître les instruments juridiques internationaux, régionaux et nationaux qui vont permettre de se démarquer des autres praticiens du droit », précise Me Sandrine Dacga Djatche qui a animé la formation de Yaoundé. Au sortir des travaux, elle a émis le vœu suivant : « nous attendons des participants qu’ils n’affrontent plus les procédures d’habeas corpus comme l’avocat ordinaire ou comme le magistrat ordinaire ou l’administrateur pénitentiaire ordinaire, mais comme ce défenseur des droits de l’Homme qui parle avec autorité, agit avec autorité, et qui connaît les instruments juridiques sous-tendant la procédure d’habeas corpus et garantissant que cette procédure soit respectée par tous les acteurs de la chaîne pénale. ».
Après avoir suivi la formation, Me Tatang Menken, avocat au barreau du Cameroun, mesure l’ampleur de la mission à venir. « On nous a formés pour être des ambassadeurs, explique-t-il. Nous avons l’obligation de continuer de former les autres confrères qui peuvent se retrouver en difficulté dans cette procédure d’habeas corpus. Nous allons aussi faciliter sa compréhension auprès des magistrats, des greffiers et des autres acteurs de la chaîne judiciaire. » Me Tatang Menkenrêve même de voir les prisons camerounaises se désengorgergrâce à la multiplication des procédures d’habeas corpus.
Assongmo Necdem
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